Grèce - Le théâtre Grec : miroir de la société
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En 421, le poète athénien Aristophane présentait aux Athéniens sa comédie la Paix, peu de temps avant la conclusion de la paix de Nicias, qui marqua une étape capitale dans la Guerre du Péloponnèse (431-404). Dans un moment de communion, il les invitait à rire pour la paix et contre la guerre accompagnée de son cortège d’horreurs. Il les conviait à célébrer la belle déesse et ses deux servantes, à même d’offrir à tous les Grecs l’opulence et des fêtes, le temps des figues fraîches, des myrtes et du vin doux.
En 421, le poète athénien Aristophane présentait aux Athéniens sa comédie la Paix, peu de temps avant la conclusion de la paix de Nicias, qui marqua une étape capitale dans la Guerre du Péloponnèse (431-404). Dans un moment de communion, il les invitait à rire pour la paix et contre la guerre accompagnée de son cortège d’horreurs. Il les conviait à célébrer la belle déesse et ses deux servantes, à même d’offrir à tous les Grecs l’opulence et des fêtes, le temps des figues fraîches, des myrtes et du vin doux.
Quelques années plus tard, Euripide, alors en séjour en Macédoine, faisait jouer une tragédie les Bacchantes où une mère était décrite dégoulinante du sang de son fils, qu’elle venait de sacrifier dans un excès de folie que seul pouvait expliquer l’état de transe dans lequel Dionysos l’avait mise.
Comme celles d’Eschyle et de Sophocle, ces deux pièces ont été jouées dans tout le monde méditerranéen. Si leurs auteurs étaient athéniens et si ces drames étaient en phase avec l’actualité de leur temps, le message qu’ils délivraient n’avait pas de frontière. Tous les Hellènes ont ri à entendre la truculence du verbe comique et pleuré devant les malheurs des héros et héroïnes tragiques, et ce encore à l’époque hellénistique.
Près de 2500 ans nous séparent de ces drames et des contextes qui ont permis leur éclosion. Sur ce terreau s’est développée la culture occidentale puis a émergé une dramaturgie africaine qui à la lumière de l’histoire douloureuse de la décolonisation a su revisiter avec bonheur le théâtre grec, en particulier celui de Sophocle. La Grèce a en effet légué à l’humanité sa conception du théâtre comme art du spectacle et expression de la culture populaire.
Pourtant, il serait imprudent de prétendre définir la nature du rire grec ou de l’effroi tragique. D’abord, notons-le d’emblée, on raisonne toujours sur un nombre limité de drames, 45 pièces complètes seulement.
Une partie infime de la production théâtrale nous a été léguée : de Sophocle auquel on attribue 123 drames et 18 victoires, nous n’avons que 7 tragédies ; d’Euripide qui aurait écrit 92 drames, il ne nous reste que 17 tragédies et 1 drame satyrique : le Cyclope.
Des 44 comédies d’Aristophane, seulement 11 nous sont parvenues. Quant à l’immense production de l’époque hellénistique, elle a quasiment disparu. Seuls subsistent des titres et quelques fragments. De plus, les conditions dans lesquelles ces spectacles ont été joués, ne seront plus jamais réunies.
Voir les Bacchantes à la Comédie française, c’est comme vouloir déguster du champagne dans un verre à bière ou expurger Rabelais pour en faire un auteur de mièvreries…
Si la truculence du verbe comique est mieux respectée que dans le passé écrasé par des siècles de pudibonderie, les allusions au contexte et à des personnages de la vie politique athénienne, nous échappent largement.
Quant à la dimension sacrée du tragique, elle est affaiblie ou gommée dans les mises en scène contemporaines, pour des raisons idéologiques mais aussi par l’incapacité à traduire la gravité des chants, qui participent d’un enthousiasme mystique. Pour retrouver un sens de la grandeur approchant, il vaut mieux se référer au Ring de Wagner…
Ce théâtre reste un médiateur entre nous et le passé. Dans l’espace circonscrit par ses gradins, il a été le miroir des évolutions sociales et politiques de l’antiquité, pendant des siècles. Comprendre ce qui se jouait dans le théâtre, c’est être en empathie avec l’homme grec, approcher ce qui le faisait vibrer, rire ou pleurer, ce qui déchaînait ses passions. C’est entendre une parole libérée de toute contrainte et de fait capable de délivrer dans un espace public les pulsions du désir comme de la mort, tout en offrant le cadre d’un paysage apaisé, dans un univers pourtant ployé au vouloir des dieux.
Aller au théâtre pour un Grec, c’était participer à un concours dont l’enjeu était d’offrir le meilleur des spectacles au dieu, qu’il s’agisse de Dionysos à Athènes, d’Apollon à Delphes ou d’Asklépios à Epidaure. Toutes les représentations étaient intégrées à une fête à laquelle tous étaient conviés, dans un temps sacré et un lieu précis, celui du sanctuaire.
Le théâtre privé n’existait pas et les jours de fête étaient fixés par les autorités qui avaient la direction du sanctuaire. A Athènes, deux des quatre fêtes civiques en l’honneur de Dionysos, dieu du masque, donnaient lieu à des prestations théâtrales, celle des Lénéennes en janvier-février et celle des Grandes Dionysies ou Dionysies urbaines, au mois de mars-avril. Le cadre était religieux et civique, les deux étant indissociables dans la cité athénienne.
A l’origine du théâtre, une figure, celle de l’Athénien Thespis d’Ikarion qui aurait remporté le concours de tragédie en 534 aux Grandes Dionysies. Par l’étymologie, les noms de la comédie et de la tragédie sont liés au domaine de Dionysos : la tragédie étant « le chant du bouc » et la comédie, « le chant du kômos », cortège auquel se livraient les convives d’un banquet qui parcouraient les rues de la ville dans un état d’ébriété avancé, en se lançant des quolibets et force railleries.
Le théâtre désigne « l’endroit d’où l’on voit ». Présidé par le prêtre du dieu qui est célébré, il est consacré par le sang d’un porcelet sacrifié qui entoure les participants, acteurs et spectateurs, dans un cercle auquel on ne peut accéder qu’après des ablutions.
Le théâtre est aussi appelé le koilon ou le creux, ce qui désigne les gradins sur la pente naturelle d’une colline. Néanmoins, le premier théâtre à Athènes était un échafaudage dressé provisoirement sur l’agora au VIe siècle.
Après son effondrement, il fut décidé au début du Ve siècle de construire un nouvel édifice au flanc sud de l’Acropole en adossant les gradins à la colline (496). Le théâtre ne fut construit en pierre qu’en 335-330 à l’initiative de l’homme politique athénien Lycurgue, qui tentait de restaurer la grandeur d’Athènes pour le moins écornée par la défaite de Chéronée (338), face aux Macédoniens.
Une aire de terre battue en forme de trapèze, accessible par deux passages. Elle fut ensuite en forme de cercle. Cette aire est l’orchestra ou piste de danse, où évolue le chœur.
Un bâtiment en bois qui servait de vestiaire dans la partie inférieure et dont la terrasse permettait l’évolution des acteurs. C’est la scène (skenè) qui à l’origine désigne une baraque en bois.
Les gradins offraient des places d’honneur au premier rang aux prêtres, aux magistrats, aux hôtes de marque, qui avaient reçu ce privilège appelé proédrie.
Une fois reconstruit en pierre, le théâtre athénien pouvait accueillir 17 000 spectateurs.
Le plan canonique est celui du théâtre d’Epidaure, avec son orchestra circulaire. Il pouvait accueillir 14 000 spectateurs. Le vocabulaire architectural du théâtre fut défini au Ier siècle avant notre ère par l’architecte et ingénieur militaire Vitruve qui a bénéficié de traités grecs d’architecture aujourd’hui disparus.
Les spectateurs étaient de toute origine. Dans l’Athènes démocratique, une caisse des spectacles permettait de pallier le manque à gagner d’une journée de travail par une indemnité. On ne sait pas si les femmes pouvaient assister aux représentations mais c’est probable car bien des saillies d’Aristophane perdraient tout leur sel en l’absence d’un public féminin.
Quant aux enfants, un Caractère de Théophraste : « l’Homme sans scrupules », fait état d’un citoyen qui s’introduit au théâtre sans avoir payé sa part, et le lendemain y amène même ses enfants et leur pédagogue.
Le théâtre était un des lieux du face-à-face auquel se livraient en permanence les hommes de ces sociétés civiques. Lieu de communication, il était une assemblée par lui-même qui traduisait visuellement, du premier au dernier rang, la hiérarchie sociale.
Les concours étaient un des moments essentiels de la cérémonie religieuse qui avec les prières, les libations, les sacrifices, participaient de l’hommage rendu à la divinité. A la fin du concours, des prix étaient décernés au meilleur poète, au meilleur protagoniste (« premier acteur ») et au citoyen qui avait financé la préparation du spectacle sur sa fortune personnelle.
Depuis le milieu du Ve siècle, il y avait un décor peint mais il n’y avait pas de rideau de scène. Le premier peintre connu de décor est un nommé Agatharcos, qu’Alcibiade aurait débauché pour qu’il peignît les murs de sa maison. Ce décor peint venait s’ajouter au cadre naturel qui jouait un rôle important puisque les représentations se déroulaient en plein air et en plein jour.
Les Grecs n’ont pas manqué d’établir leurs sanctuaires dans des lieux d’une grande beauté pour que de la nature et de la lumière qui les baignait, émanât cette présence divine qu’ils recherchaient. De plus, les poètes ont évoqué des paysages que tous connaissaient et qui étaient eux-mêmes le lieu de la puissance sacrée qui se manifestait aux mortels pour le meilleur ou pour le pire.
Ainsi dans l’Hippolyte d’Euripide, ces rivages du golfe Saronique, bien connus de tous, deviennent-ils le cadre de la mort horrible du fils de Thésée, victime de la malédiction de son père. Le messager raconte :
Nous entrions dans un pays désert où, par delà ce territoire, il est un rivage qui s’étend vers le golfe Saronique, quand une rumeur en partit, semblable au tonnerre souterrain de Zeus, exhalant un grondement profond, effroyable à entendre. Levant la tête vers le ciel, les chevaux dressèrent l’oreille, et parmi nous c’était une terreur violente, à chercher d’où pourrait provenir ce bruit.
Vers la rive grondante nous jetons les regards : prodigieuse, une vague nous apparaît, touchant le ciel, au point de dérober à mon regard les falaises de Sciron ; elle cachait l’Isthme et le roc d’Asclépios. Puis, s’enflant et rejetant alentour des flots d’écume bouillonnante, elle s’avance vers la rive, à l’endroit où était le quadrige.
Et avec la triple lame qui déferle, le flot vomit un taureau sauvage, monstrueux ; la terre entière, emplie de son mugissement, y répond par un écho effroyable, et c’était pour les témoins un spectacle insoutenable aux regards.
Aussitôt sur les coursiers s’abat une panique affreuse ; le maître, avec sa longue habitude des chevaux, saisit les rênes à deux mains ; il tire comme un matelot qui ramène la rame ; il se rejette en arrière, sur les courroies pesant de tout son corps.
Mais les cavales, mordant de leurs mâchoires le frein, fils de la flamme, s’emportent, sans souci de la main du pilote, ni des sangles, ni du char bien ajusté. Vers un sol uni, gouvernail en main, dirigeait-t-il leur course ? Apparaissant à l’avant, le taureau faisait faire volte-face au quadrige affolé de terreur ; s’élançaient-elles sur les rocs, dans leur délire ? S’approchant en silence, il suivait le rebord du char. Finalement il fit choir et culbuta le véhicule, en jetant la roue sur un rocher.
Les sites des théâtres grecs, propices à l’imaginaire, sont donc un hommage rendu à la nature, alors qu’avec le théâtre romain apparaît un fond de scène qui impose au regard des statues de dieux et les portraits des hommes de pouvoir. Ainsi, le théâtre d’Arles comprenait-il la statue d’Auguste et celle de la fameuse Vénus, aujourd’hui au Musée du Louvre.
Il y avait des stratagèmes de mises en scène qui situaient le drame dans une fiction dont tous se faisaient les complices. Le théâtre, tout sérieux qu’il fût, était bien un jeu. Une grue pouvait ainsi hisser un ou plusieurs acteurs de l’intérieur du bâtiment de scène sur la scène ou plus haut au-dessus des spectateurs.
Dans les Nuées d’Aristophane, Socrate suspendu dans une corbeille, peut affirmer : Je marche dans les airs et regarde le soleil. Le plateau mobile fut plus utilisé que la grue. Il permettait de faire évoluer d’un côté à l’autre les personnages.
Ainsi Héraclès endormi dans la tragédie d’Euripide qui porte son nom, peut-il traverser la scène, entouré de sa femme et de ses enfants qu’il vient de tuer de ses flèches. Quand il s’éveille, attaché à une colonne de marbre, il est hébété et ne peut que reconnaître qu’il s’est perdu une fois de plus, en proie à la folie inspirée par Héra :
Une vague m’a comme entraîné, en bouleversant tous mes sens, dans une chute terrible ; un souffle brûlant, par hoquets saccadés, s’échappe de mes poumons.
De même les spectateurs devaient admettre que tous les rôles fussent joués par des hommes. Belle hommage rendu à la féminité que ces citoyens qui prenaient la voix d’Antigone pour dire la défense de la liberté contre la tyrannie ou que cette Lysistrata d’Aristophane (« Démobilisette ») qui prône la grève du sexe dans toutes les cités pour contraindre les hommes à cesser la guerre !
Au IVe siècle, l’auteur ne joue plus lui-même. Le dernier à l’avoir fait fut Sophocle. A un âge déjà avancé, il tint dans une de ses pièces le rôle de Nausicaa avec une grâce qui souleva de plaisir son auditoire, mais il s’étala en jouant à la balle, ce qui sembla mettre fin à sa carrière de comédien.
Les acteurs jouaient plusieurs rôles. Ils étaient 2 à l’époque d’Eschyle, 3 à celle de Sophocle. Le protagoniste ou « premier acteur » avait une fonction essentielle. Il choisissait les deux autres acteurs et recevait des cachets importants de la cité qui pouvait à l’occasion lui confier une mission comme ambassadeur.
Les acteurs portaient une tunique à manches longues et des bottines à fine semelle. Le masque en tissu, en bois ou en liège, permettait des changements de rôle. Il couvrait leur crâne et portait des cheveux. Aucun de ces masques n’a été conservé. Nous n’avons que des copies en marbre ou en terre cuite utilisées comme motif décoratif. A l’époque hellénistique, les acteurs portaient un masque porte-voix et des cothurnes qui leur donnaient de la hauteur.
Le masque devait permettre à un spectateur situé à près de 30m d’identifier le personnage. Ce qui faisait la qualité et la valeur d’un acteur, c’était sa voix et sa gestuelle, d’où la nécessité d’avoir une excellente acoustique (celle du théâtre d’Epidaure est une des meilleures) et une bonne visibilité de toutes les places du théâtre.
La voix était essentielle au jeu des acteurs : aspect, émotion, mouvements, chants et récitatifs ponctués sur différents rythmes en réponse au chœur également masqué et accompagné de l’aulète ou joueur de hautbois. Il y avait trois dictions : le parlé, le récitatif et le chant.
Comme les spectateurs pouvaient être très loin de la scène, les descriptions avaient une place importante dans les drames, d’autant que les scènes de meurtre ou d’agonie n’étaient pas représentées sur scène. Ainsi le coryphée ou chef du choeur décrit-il Hippolyte blessé que nul ne peut voir :
Voici le malheureux qui s’avance, son jeune corps et sa tête blonde indignement défigurés. O maison tant éprouvée ! Quel double deuil s’est accompli pour le palais, infligé par la main d’un dieu !
Le chœur était composé de 12 hommes dans les tragédies d’Eschyle, 15 d’Euripide et 24 dans les comédies d’Aristophane. Les choreutes se déplaçaient en files ou en rangs par exemple à 3 de front ou en formation rectangulaire, derrière l’aulète ou joueur de hautbois.
Leur nombre n’était pas en rapport avec le nombre des personnages. Ainsi les 50 Suppliantes d’Eschyle ou d’Euripide n’étaient-elles que 12 ou 15. Les choreutes étaient recrutés par le chorège. Ils n’avaient aucune compétence particulière mais on le sait, la formation de tout citoyen comprenait le chant et la danse. Rares étaient ceux qui comme Thémistocle ne les pratiquaient pas.
Les choreutes portaient un masque et un déguisement. Ainsi les membres du chœur des Guêpes d’Aristophane avaient-ils au derrière, ramené en avant comme un dard d’insecte, le stylet avec lequel ils condamnaient les accusés pour toucher leur salaire de juges.
Le chœur entrait sur l’orchestra dès la fin du prologue, en récitant ou en chantant. C’est la parodos ou entrée du chœur. Le chœur représentait la collectivité, c’est-à-dire les spectateurs.
Il commentait l’action et traduisait les émotions. Le coryphée ou chef du chœur se tenait devant ou au milieu de la rangée. Il se détachait pour interpeller l’acteur qui jouait le rôle principal. Il énonçait des sentences moralisatrices et tirait les leçons de l’action. Souvent, c’était le coryphée qui avait le mot de la fin.
Dans la tragédie Hécube d’Euripide, pendant que le chœur se dirige vers la sortie de droite, le coryphée proclame : Allez au port et aux tentes, amis, pour y éprouver les maux de la servitude ; inflexible est la nécessité. Le dernier mot de cette tragédie est l’anagkè, cette douloureuse nécessité dont le nom sonne comme un glas et qui courbe sous un joug inflexible les pauvres mortels.
Comme Aristote l’a noté dans la Poétique, la tragédie en représentant la pitié et la frayeur, purge l’individu et le corps social de ce genre d’émotions. Le théâtre a donc une vertu thérapeutique et s’il joue un si grand rôle dans les sanctuaires du dieu guérisseur Asklépios, c’est que les Grecs croyaient à cette puissance du verbe pour soulager la douleur et libérer les âmes.
Tout peut se dire, ou presque, au théâtre. Dans la comédie, on rit de l’inversion des situations : quoi de plus risible que d’imaginer les femmes au pouvoir ou des esclaves conseillant leurs maîtres ? Rares furent les pièces qui traitèrent de sujets contemporains.
Le poète Phrynichos prit comme sujet la Prise de Milet mais sa tragédie, sans doute trop fidèle à la catastrophe survenue en 494 à cause de la destruction de la ville par les Perses, suscita une telle émotion (des spectateurs se seraient évanouis) que la pièce fut interdite par les autorités et le poète condamné à une amende.
On connaît aussi le succès des Perses d’Eschyle qui font raconter à la cour de Xerxès la victoire de Salamine remportée par les Grecs.
Dans la tragédie, on imagine toutes les transgressions : Agamemnon sacrifie sa fille Iphigénie ; Œdipe tue son père et couche avec sa mère, ayant pour enfants ses demi-frères et sœurs… Le théâtre, c’est aussi le retour aux héros de l’épopée homérique.
Tous les Grecs connaissaient ces mythes et ils n’allaient donc pas au théâtre pour découvrir une nouvelle intrigue. Ce qu’ils jugeaient, applaudissaient ou condamnaient, c’était la capacité du poète à développer sur un motif ancien un verbe poétique nouveau.
La comédie, c’est aussi le temps d’une utopie, celle du bonheur de la Paix. Quand dans la comédie d’Aristophane, la statue de la Paix sort lentement de la caverne, ayant à ses côtés la déesse des moissons et des fruits, et la déesse des fêtes, s’ensuit le dialogue suivant entre Trygée (« Lavendange ») et Hermès :
Trygée- O souveraine, donatrice du raisin, en quels termes m’adresserai-je à toi ? Où prendrai-je un vocable de dix mille amphores pour te saluer ? Car je n’en ai pas chez moi. Salut, Opôra, et toi aussi, Théôria. Quel charmant visage tu as, Théôria ! Quelle haleine, combien douce au cœur, suave et comme parfumée d’exemption du service et d’essence !
Hermès- Cela ressemble-t-il à l’odeur du sac militaire ?
Trygée- Foin du sac odieux d’un odieux soldat ! Il infeste le rot d’un mangeur d’oignons. Celle-ci embaume la saison des fruits, le bon accueil, les Dionysies, les hautbois, les tragédiens, les chants de Sophocle, les grives, les versiculets d’Euripide !
Hermès- Il t’en cuira de la calomnier ; elle n’aime pas un poète aux maximes chicanières.
Trygée- … le lierre, la passoire au marc, les petits moutons bêlants, la gorge des femmes courant à l’envi aux champs, la servante ivre, le conge renversé et bien d’autres bonnes choses.
Hermès- Tiens, regarde comme les cités babillent entre elles, réconciliées, et rient joyeusement.
Il est beau de rêver au bonheur de cités réconciliées et à la joie de retrouver les plaisirs simples des festins, dans une nature qui donne tout à profusion. Si les mortels étaient soumis au destin et à la volonté des dieux, leur théâtre n’en exprimait pas moins la conscience d’une liberté de l’homme fondamentale.
Ajax dans la tragédie de Sophocle, sait qu’il a été victime d’une folie inspirée par Athéna mais il lui revient d’effacer la honte en choisissant une fin noble et volontaire. Et quand Agamemnon veut fouler au pied son cadavre, Ulysse intervient et s’emploie à protéger le corps de son ennemi d’hier de toute offense.
C’est bien un point essentiel de l’éthique grecque que l’homme pour ne pas se comporter comme un animal, doit respecter les morts, ennemis comme amis, sauf à basculer dans la démesure et l’inhumanité. D’Homère aux auteurs de drames, tous l’ont répété.
Le théâtre grec ne fut pas sans susciter des critiques et inquiéter les gardiens de l’ordre. D’après Plutarque, Solon se serait ému de l’effet qu’il pouvait avoir sur le peuple, dès les premières représentations. Les disciples de Thespis commençaient à animer la tragédie.
La nouveauté du spectacle animait la foule, bien qu’on ne fût pas allé encore jusqu’à en faire une compétition ou un concours. Solon, qui était d’un naturel curieux et avide de s’instruire, alla voir Thespis qui jouait lui-même ses pièces selon la coutume des anciens poètes.
Après la représentation, il l’interpella et lui demanda s’il n’avait pas honte de proférer de si gros mensonges devant tant de gens. Thespis répondit qu’il n’y avait pas grand mal à déclamer et à mimer comme il le faisait en manière de jeu.
On sait combien Platon fut sévère envers cet art de l’illusion et de l’imitation qui répandait des histoires incroyables sur les dieux et les héros. De plus, il voyait en la démocratie une « théâtrocratie » et bien des points communs entre les politiciens et les comédiens, en particulier dans cette façon de captiver l’auditoire au point de lui faire perdre tout bon sens.
Mais que de plaisir à se retrouver à l’aube sur les gradins en ayant apporté de quoi manger et boire pour tenir toute la journée ! Voir caricaturer les hommes politiques, ridiculiser les beaux parleurs et en particulier Socrate qui bâille aux corneilles ! Vivre, ne ce serait-ce qu’un instant, l’effroi délicieux de bafouer les règles morales !
Pouvoir discuter des pièces, montrer son plaisir ou son déplaisir tout en évitant les coups de bâton de la police du théâtre qui tentait de maintenir le calme, puis se quitter, à la nuit tombée, après s’être enivré de chants, de danse et de poésie, après avoir ri des autres et de soi-même ! Surtout avoir éprouvé la joie d’être vivant et conscient du grand mystère de l’univers et de la beauté de la lumière en ces sites uniques !
Alors même que s’imposait une théocratie à la fin de l’Antiquité, Augustin reconnaissait le pouvoir du théâtre sur son âme passionnée d’absolu, dans ses
Confessions :
Le théâtre me ravissait avec ses spectacles pleins des images de mes maux et des matériaux de feu dont je brûlais… Mais moi, dans ma misère, j’aimais avoir de la peine et je cherchais des sujets de peine, tandis qu’à propos d’une infortune étrangère, contrefaite, mimée, le jeu de l’acteur me plaisait d’autant plus et m’attachait d’autant plus fort qu’il me tirait des larmes…
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